Exposé résumé du contenu du livre
Trois aspects concernant la relation des humains avec les aliments sont imbriqués. Pour les besoins de l’analyse, ils sont examinés séparément. Il y a un aspect technique concernant la production, un aspect plus économique concernant la consommation, un volet relatif aux causes du blocage des évolutions et enfin une réflexion philosophique sur la relation entre les êtres humains et la nature.
A) Les techniques de production
Trois volets techniques sont abordés dans ce livre. Les volets agriculture, horticulture et arboriculture
1) L’agriculture
L’auteur recommande une agriculture « biologique » qu’il nomme « agriculture sauvage ».
Sa méthode, mise au point à l’aide de nombreuses expérimentations, utilise les façons culturales suivantes :
– Semer en place (sans repiquage, 20 à 40 Kg/ha) une variété de riz à paille courte fin avril. Le champ est recouvert d’eau une semaine lors de la période de mousson (Juin).
– Moissonner les céréales en mai.
– Répandre la paille des céréales d’hiver non hachée sur les champs semés en riz.
– Semer les céréales d’hiver (30 à 60 Kg/ha) et du trèfle blanc (5 Kg/ha) début octobre avant la moisson du riz.
– Moissonner le riz fin octobre début novembre. Céréales et trèfle ont alors des pousses de 5 cm environ.
– Répandre la paille du riz non hachée sur les champs semés en céréales et trèfle.
Aucun engrais ou pesticide. Aucun labour. Aucun appareil mécanique. Récolte à la faux. Battage à la main.
Pour éviter que les oiseaux mangent les semences, ces dernières préparées dans des boulettes d’argile.
Disons pour simplifier que la paille joue un rôle très important de fertilisation, de renforcement de la capacité du sol à retenir l’eau et de lutte contre les herbes adventices. La couverture permanente du sol par les semis de céréales et de trèfle permet d’étouffer les mauvaises herbes.
Aux dires de l’auteur, les rendements sont comparables à ceux des méthodes « industrielles » ou « traditionnelles ».
L’auteur ne fournit pas de bilan sur la quantité de travail requise pour la mise en œuvre de ces façons culturales. En lisant entre les lignes on peut penser qu’il y a moins de travail qu’avec les techniques traditionnelles.
2) La méthode d’arboriculture consiste quant à elle à :
– Faire une culture d’engrais vert sous les arbres (trèfle et luzerne)
– Planter une variété d’acacias qui enrichissent le sol en azote, attirent les coccinelles prédatrices des pucerons et servent de brise-vent.
– Ne pas tailler ou élaguer les arbres fruitiers
L’auteur a réussi ainsi à régénérer des sols pentus qui étaient devenus incultes et de ce fait abandonnés.
Evidemment, pas d’engrais, ni pesticides, ni machines.
3) L’horticulture
Les préconisations d’horticulture partent des mêmes principes avec les considérations complémentaires suivantes :
– semer les légumes parmi trèfle et adventices mais au moment où ces dernières fanent. De nombreux légumes se ressèment d’eux-mêmes.
– faucher une a trois fois les mauvaises herbes pour en faire une couverture.
– pour les cucurbitacées, mettre des branches d’arbre qui serviront de support aux fruits.
– pour les pommes de terre, il suffit d’en laisser quelques unes au moment de la récolte pour l’année suivante.
– mélanger avec du trèfle pour concurrencer les mauvaises herbes et apporter de l’azote.
– mélanger différents types de légumes pour prévenir les maladies.
B) L’alimentation
L’auteur avance des séries de considérations :
– L’alimentation produite hors saison perd en partie ses propriétés nutritionnelles et gustatives.
– La propension des consommateurs à payer au prix fort les produits hors saison ou les produits calibrés encourage la course à la production « industrielle » qui se fait finalement aux dépends des agriculteurs.
– La croyance des consommateurs selon laquelle les produits « naturels » devraient être plus chers que les produits « industriels »
– Les attentes des consommateurs vis-à-vis de l’alimentation peuvent se résumer en 4 types :
– alimentation fondée uniquement sur le désir lui-même largement piloté par le goût : ce type est source de nombreux dérèglements de la santé.
– alimentation fondée exclusivement sur les besoins nutritionnels.
– alimentation inspirée par une approche idéaliste fondée sur des principes.
– alimentation naturelle fondée sur une agriculture naturelle et l’intuition de chaque individu.
– De nombreux êtres vivants, insectes ou herbes sauvages, considérés comme répugnants à manger, ont en réalité bon goût et des propriétés médicinales importantes.
– La production de viande demande environ 1à fois plus de surface cultivée que les céréales par Kilo produit.
« Si l’on ne cherche plus à manger ce qui est agréable au gout, on peut gouter la vraie saveur de tout ce que l’on mange. »
C) Quelques causes du blocage des évolutions
Une des causes du blocage est que l’agriculture sauvage provoquerait, si elle était généralisée, un chambardement du monde agro industriel au sens large qu’elle va à l’encontre de puissants intérêts.
Une autre cause tient à la vision très morcelée et déconnectée de la réalité qui préside à la recherche agronomique.
Enfin en cas de problème agronomique, les solutions techniques en font que colmater des brèches faute de s’attaquer à la racine de ces problèmes.
D) Le volet réflexion philosophique et éthique
L’auteur part de deux axiomes dont il tire un certain nombre de règles comportementales.
– Premier axiome : la science donne une vision partielle et morcelée, donc fausse, de la réalité
Les hommes pensent savoir beaucoup de choses exactes accumulées dans leur « culture ». En fait ils ne savent pas grand-chose et ont accumulé beaucoup d’idées fausses. La compréhension de la nature dépasse l’intelligence humaine ne serait-ce que par la complexité et la variabilité spatiale et temporelle des écosystèmes.
« Croire que par la recherche et l’invention l’humanité peut créer quelque chose de mieux que la nature est une illusion »
Refus du compromis avec l’agriculture industrielle considérée par principe comme dommageable entre autre par la vision morcelée qui la sous-tend.
Une question en découle : l’agriculture « scientifique » est-elle supérieure à l’agriculture « naturelle » ? La méthode naturelle a été d’abandonner les modes culturaux industriels pour adopter une attitude que l’auteur appelle le « non-agir » et d’observer les résultats.
Second axiome : pour être heureux et en paix les hommes doivent donc adopter une attitude non scientifique vis-à-vis de la nature et faire davantage confiance à leur « instinct » qu’à leurs connaissances.
« L’homme doit se tourner vers la prise de conscience spirituelle. »
« Juste vivre ici et maintenant – telle est la vraie base de la vie humaine »
Rien n’a en soi beaucoup de signification ou de valeur.
La guérison de la terre et celle de l’esprit sont indissociables. Ce sont les environnements malsains générés par le progrès industriel qui sont à la source des problèmes. Les environnements malsains apparaissent lorsque l’on s’éloigne de l’environnement naturel.
« L’extravagance du désir est la cause fondamentale qui a conduit le monde à sa difficile situation actuelle. »
« Le but ultime de l’agriculture n’est pas de faire pousser des récoltes mais la culture et l’accomplissement des êtres humains »
Le « progrès » technique n’est qu’une longue suite d’introduction de produits inutiles et nuisibles.
C’esr des distinctions artificielles entre fort/faible, bien/mal, moi/autre que naissent les conflits.
Quelques réflexions à propos du contenu
A) Sur les techniques de production
La technique « naturelle » mise au point par Masanobu Fukuoka résulte d’une longue et patiente expérimentation accompagnée de méticuleuses observations et jalonnée par quelques échecs. Cette démarche appelle quelques remarques :
– L’auteur dans sa sagesse ne prétend pas en faire une technique universelle ; sa démarche est une invitation à se rapprocher de la nature et à s’adapter à son mode de fonctionnement qui varie selon les données géographiques. Nous sommes loin de l’emballement pour une solution technique « universelle ».
– Si l’auteur donne des informations sur les rendements obtenus, c’est dans le contexte du climat japonais, et sans grandes indications sur la quantité de travail que requiert son mode de production. Il se contente d’une boutade à ce sujet en pensant que si tous les humains étaient agriculteurs, tout irait mieux dans le monde. Actuellement, il n’est pas prouvé que ce modèle soit généralisable « tel que » tant les données relatives aux mises en œuvre diverses sont parcellaires.
– La critique des programmes de recherche « en silo » qui passent à coté d’une expérimentation intégrée de méthodes culturales autres qu’industrielles est tout à fait fondée. Qu’en est-il aujourd’hui ? Y-a-t-il des avancées significatives depuis la publication de cet ouvrage ?
– En revanche la critique radicale d’une démarche scientifique rigoureuse pour faire évoluer la prise en compte de l’environnement dans l’agriculture pourrait bien s’avérer contre productive. Il est de plus piquant de penser que Masanobu Fukuoka a un bagage scientifique très évolué qui lui a certainement servi pour relever tous les défis posés par la mise en place d’une agriculture « naturelle ». Il serait dommage de jeter le bébé avec l’eau du bain. Quand au choix du mode de vie induit par l’agriculture naturelle, il est davantage du ressort de l’éthique.
B) L’alimentation
– Toutes les critiques de la « mal bouffe » commencent à être admises. Force est d’admettre qu’en 1975, ce discours était peu répandu.
– Certaines recommandations sont parfois surprenantes : penser qu’il est préférable d’apprécier le goût des aliments naturels de préférence à rechercher ce qui est bon au gout est d’autant plus paradoxal que la méthode est pratiquée par le complexe agro-industriel qui « fabrique » des goûts. Donc la rationalisation selon laquelle le naturel est bon et l’artificiel mauvais (sauf la cuisson et le sel !) semble un peu trop simplificatrice.
C) Sources du blocage
Il est évident que le complexe agro-industriel au sens large constitue un puissant lobby qui freine les évolutions souhaitables. L’exemple du glyphosate mériterait d’être analysé tant il est représentatif.
Cependant, il faut noter que l’auteur ne cherche pas de bouc émissaire et ne cède pas à la théorie du complot dans ses analyses de la situation ; il se garde bien des postures pamphlétaires et émotionnelles.
D) Philosophie et éthique
Les convictions philosophiques de l’auteur sont présentes dans tout le livre ; à ce titre son ouvrage est autant un appel à une conversion spirituelle qu’un recueil de recommandations techniques.
La philosophie sous-jacente est probablement très liée à la spiritualité bouddhiste. Cette dernière est assez éloignée du corpus philosophico-religieux de l’occident. On y retrouve toutefois des accents de stoïcisme et d’épicurisme ; bien entendu on retrouve une partie des thèses Rousseauistes ; parfois, le rejet du rôle de la raison prend une tournure nihiliste dont les relents mortifères sont assez déroutants.
Il est intéressant de noter que les conclusions éthiques, bien que fondées sur cette spiritualité orientale différente, convergent avec les récents écrits du pape François dans le document « laudate si ». La différence essentielle tient au principe fondateur qui sous-tend les deux approches : la nature dont l’homme est partie intégrante dans un cas, le dieu créateur de la nature au sommet de laquelle se trouve l’homme dans l’autre cas. Ces points de vue peuvent être appréhendés comme complémentaires.
La question de savoir si cette approche philosophique appartient ou sera récupérée sous une forme ou une autre « d’idéologie » (avec le cortège de malheurs que cela apporterait sachant que les idéologies ont la prétention de régler tous les problèmes à travers une explication simpliste de leurs causes) reste ouverte.
